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Les voitures électriques suffiront-elles pour sauver la planète?

Entre amour de la voiture et nécessité de s’en passer, Laurent Fessy d’Astara et Timo Ohnmacht, sociologue spécialisé dans les transports, se penchent sur la façon dont mobilité et protection du climat interagissent.



Pendant longtemps, les choses semblaient claires: l’avenir serait à la voiture électrique. Mais à lire la une des journaux, on a le sentiment que l’électromobilité a échoué. Est-ce le cas?


Laurent Fessy: Beaucoup de ce que l’on peut lire actuellement est très exagéré. Je roule en voiture électrique à titre privé et j’en suis ravi. A mes yeux, l’électromobilité est incontournable. Peut-être que nous atteindrons nos objectifs dans ce secteur un peu plus tard qu’escompté. Mais une chose reste claire: l’essence et le diesel ne sont pas des solutions d’avenir. Dans un futur proche, nous n’aurons plus de pétrole – que ferons-nous alors?


Timo Ohnmacht: Il est incontestable que l’électromobilité est une composante essentielle pour atteindre les objectifs climatiques. Toutefois, de mon point de vue de sociologue des transports, je dis ceci: un changement de motorisation est loin de constituer un véritable changement de transport. Il faut aussi que nous comptions moins sur les voitures pour nous déplacer, surtout dans les villes. Les voitures n’ont pas seulement besoin d’énergie, mais aussi d’espace. Si nous voulons tenir les engagements énergétiques, il faudra plus que des voitures électriques. Nous avons besoin d’un changement des comportements et de promouvoir les transports publics comme alternative.


Mais actuellement, on observe même un certain retour de l’essence. Comment expliquez-vous cela?


Timo Ohnmacht: Je ne parlerais pas de retour. Mais il est vrai que les chiffres de croissance des voitures électriques stagnent. L’un des problèmes est que les industriels proposent surtout des véhicules électriques de grande taille et chers et que les subventions publiques se font de plus en plus rares. Cette situation doit changer si nous voulons que l’électromobilité s’impose à grande échelle. Il faut créer une «E-Volkswagen». Laurent Fessy: Je suis du même avis: il ne s’agit pas d’un retour, c’est juste que l’adaptation aux voitures électriques est un peu moins rapide qu’escompté. Cela dit, chez Astara, la part des modèles électriques est supérieure à 30%!


Aurons-nous encore besoin d’une voiture à l’avenir?


Timo Ohnmacht: On constate une forte persistance de l’utilisation de la voiture. Les Suisses et les Suissesses parcourent en moyenne sept kilomètres sur dix en voiture. Ce chiffre n’a quasiment pas bougé au cours des 25 dernières années. Malgré l’autopartage, malgré les offres de location. Autre point intéressant: la mobilité, entendue comme les trajets que nous effectuons, est restée stable. Mais les distances de déplacement ont nettement augmenté. Le lieu de travail, le logement, les courses et le domicile des amis et amies sont plus éloignés. C’est pourquoi il est si important de construire de manière plus dense et de mélanger les usages. Cela apportera davantage à la transition énergétique que les promesses de l’industrie automobile avec ses nouveaux modèles d’autopartage et ses services d’abonnement qui ne se sont pas encore vraiment imposés. En fin de compte, ce n’est pas seulement la technologie qui nous aidera, mais aussi le comportement des gens.


Voilà qui s’adresse à vous, Laurent…


Laurent Fessy: … la question est de savoir ce que les gens veulent. Astara est à l’origine un importateur de voitures particulières. Avec le nouvel élan pris par l’entreprise, nous voulons proposer une offre qui englobe tous les canaux de mobilité, des trottinettes électriques aux services d’abonnement. Le client ou la cliente dispose ainsi d’une option adaptée à chaque situation et, selon les cas, d’une option durable.


Faut-il que les gens continuent à acheter des voitures à l’avenir?


Laurent Fessy: Astara est le troisième importateur de Suisse. Il va de soi que nous voulons défendre cette position. Nous voulons continuer à vendre des voitures aux gens. Mais le marché est ce qu’il est, à savoir en recul depuis quatre ans. C’est pourquoi nous avons adapté notre portefeuille aux nouveaux besoins.


Timo Ohnmacht: Il semblerait effectivement que les gens refont davantage de kilomètres en voiture. D’un point de vue écologique, ce n’est pas forcément une mauvaise évolution, car les voitures renferment de l’énergie grise.


Est-ce une conséquence de la baisse du pouvoir d’achat ou d’un changement de valeurs?


Timo Ohnmacht: La discussion sur les valeurs est toujours un peu délicate, car ces dernières ont rarement une influence directe sur le comportement. La voiture est une affaire d’émotion. Elle a toujours été et demeure un symbole de statut social. On peut le constater en particulier chez les jeunes, avec leurs voitures de tuning et leurs virées rodéo dans les centres-villes. En 2010, le nombre de permis de conduire a baissé, un phénomène que l’on a voulu attribuer à un changement de valeurs. Mais depuis 2020, on compte de nouveau sept jeunes sur dix qui passent leur permis de conduire. La voiture est toujours aussi populaire, quels que soient les groupes de population.


Laurent Fessy: Le constat est le même chez nous. Le design demeure l’argument d’achat n° 1 d’une voiture ou d’une décision de leasing.


Les émotions jouent-elles un rôle dans les services d’autopartage ou d’abonnement? Ou s’agit-il plutôt de solutions pragmatiques?


Laurent Fessy: Les deux. Personnellement, je trouve en particulier que les abonnements automobiles sont une excellente chose. Au lieu d’acheter une voiture, les clients et clientes peuvent profiter d’une solution de mobilité globale et très flexible. Ils paient une somme une fois par mois et tout est couvert.


De votre point de vue de chercheur en comportement, les modèles d’abonnement peuvent-ils s’imposer face à la tradition de la possession?


Timo Ohnmacht: Les modèles d’abonnement sont tout à fait intéressants, car ils augmentent la perméabilité à l’utilisation des transports publics. Lorsque l’abonnement arrive à échéance, les personnes sont amenées à prendre une nouvelle décision. Mais pour ma part, ces abonnements ne sont pas encore assez flexibles. Il faudrait pouvoir s’abonner à la semaine; voilà ce que je recommanderais à l’industrie. Sans quoi cette formule s’apparente plus ou moins à un contrat de leasing.


Laurent Fessy: Il y a effectivement des points communs avec un leasing. Mais un abonnement automobile est beaucoup plus flexible; on peut changer de modèle, et avec une durée d’abonnement minimale d’un mois, nous avons l’offre la plus courte sur le marché suisse. Nous essayons de proposer une offre adaptée à chaque situation. Car il n’y a pas une solution miracle pour tout le monde, mais des solutions différentes pour des personnes différentes.


Cette offre diversifiée est-elle compatible avec un avenir écologique?


Timo Ohnmacht: Je doute que ces modèles d’abonnement puissent jouer un rôle dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre. En fin de compte, ce sont des modèles commerciaux flexibles qui ciblent une clientèle à fort pouvoir d’achat et relativement aisée. Si cela permet de faire des économies d’énergie, c’est un effet collatéral appréciable. Cela dit, les modèles d’abonnement peuvent tout à fait inciter les gens à délaisser la mobilité individuelle. En effet: chaque fois que vous devrez renouveler un abonnement, vous vous demanderez si vous en avez vraiment besoin.


Quel levier faut-il actionner pour vraiment faire bouger les choses sur la question climatique?


Timo Ohnmacht: Il y a la notion d’utilisation de la voiture en fonction de sa nature. La voiture présente de nombreux avantages dans les zones rurales ou pour les longs trajets sur autoroute avec plusieurs personnes à bord. Dans ces cas-là, l’utilisation est guidée par l’exploitation de ces avantages. Mais pas dans les zones urbaines. On observe des initiatives de la part de certaines villes, comme Paris, qui fait payer plus cher le stationnement aux SUV dans le but de bannir les grosses voitures des villes. Atteindre les objectifs climatiques ne se fera pas en un claquement de doigts. Cela devra forcément être douloureux pour certaines personnes.


Laurent Fessy: Ce sont des pistes intéressantes. Je suis également convaincu que des villes sans voitures seraient plus agréables à vivre. Un grand potentiel réside aussi, à mon avis, dans le fait de rendre les véhicules plus durables. Mais je ne suis peut-être pas le mieux placé pour dire cela en tant que représentant d’une entreprise qui veut vendre des voitures (rires). Il est toutefois absurde de vouloir arrêter le cours des choses. C’est pourquoi Astara a décidé d’évoluer avec son temps, en proposant une offre adaptée aux besoins actuels.


À propos des invités


Le professeur Timo Ohnmacht (44 ans) est diplômé en sciences sociotechniques (sociologue des transports). Depuis 2011, il mène des recherches sur les interactions entre les thématiques de l’énergie, de l’espace, des transports et de la société à la

Haute école d’économie de Lucerne, au Centre de compétences pour la mobilité.


Laurent Fessy (40 ans) est ingénieur et Head of Product Marketing de Hyundai, Nissan, KGM et Maxus chez Astara Switzerland.

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